Depuis l’assujettissement des dividendes aux cotisations TNS, de nombreuses SARL et EURL préfèrent conserver leurs bénéfices pour ensuite les récupérer via une réduction du capital. Cependant, même si cette façon de faire est légale, les divergences d’interprétation entre les autorités fiscales la rendent plutôt risquée…
L’affaire
Alors que son capital s’élève à 7.622 €, une EURL créée depuis 18 ans pour exploiter un fonds de commerce de vente de prêt-à-porter dispose de capitaux propres s’élevant à 694.526 €, dont 762 € en réserve légale, 74.220 € en autres réserves, et 611.922 en report à nouveau.
L’associé unique décide alors de procéder à une réduction de capital non motivée par des pertes. Il ramène ainsi le capital de sa société de 7.622 € à 3.811 € par voie de rachat et d’annulation de 250 de ses parts. En contrepartie de ce rachat, la valeur de chaque part ayant été estimée à 1.340 € à la date du rachat, la société lui verse une somme de 335.000 €, qu’elle prélève sur ses réserves et qu’il inscrit à son compte courant d’associé.
La valeur d’origine de ses parts s’élevant à 15 €, il réalise ainsi une plus-value imposable s’élevant à (1.340 – 15) x 250 = 331.250 €.
Cette plus-value est bien évidemment assujettie aux prélèvements sociaux de 17,2 % en totalité, mais elle ne supporte en revanche aucune cotisation TNS contrairement aux dividendes. En outre, la société ayant été créée avant 2018 et les parts étant détenues depuis plus de 8 ans, il bénéficie de l’abattement de 85 % sur la plus-value (voir notre fiche pratique à ce sujet). Il n’est donc imposable que sur 49.688 € (au lieu de 201.000 € s’il avait perçu des dividendes d’un montant identique).
Au final, cette opération lui permet d’économiser 60.000 € sur l’impôt et les charges qu’il aurait dû payer s’il s’était versé la même somme sous la forme de dividendes. Il économise ainsi 50 % de la facture totale.
Redressement
A l’issue d’un contrôle sur pièces, l’administration a considéré que, en décidant de procéder ainsi plutôt que de se verser des dividendes, l’associé unique avait recherché le bénéfice d’une application littérale de la loi dans le but exclusif d’éluder l’impôt frappant les distributions de dividendes.
Elle considère donc qu’il s’agit d’un abus de droit et elle écarte en conséquence la qualification de plus-values et le bénéfice de l’abattement renforcé de 85 %… pour taxer la somme de 201.000 € à l’impôt sur le revenu en tant que dividendes (ndlr : cette somme correspond au prix de cession de 335.000 € diminué de l’abattement de 40 %).
L’avis du Comité de l’abus de droit fiscal
A savoir : le comité de l’abus de droit fiscal, prévu à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, a pour président un conseiller d’État, et pour membres permanents un conseiller à la cour de cassation, un avocat ayant une compétence en droit fiscal, un conseiller maître à la Cour des comptes, un notaire, un expert-comptable, un professeur des universités, agrégé de droit ou de sciences économiques. Il a pour mission, lorsqu’il est saisi, d’émettre un avis sur le bien-fondé ou non des accusations d’abus de droit émises par l’Administration fiscale à l’encontre d’un contribuable.
Après avoir entendu l’avocat du contribuable et le représentant de l’administration, le Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) relève que l’article L. 225-207 du code de commerce (ndlr : et aussi l’article L.223-34 pour ce qui concerne les SARL et EURL) autorise les sociétés à procéder à une réduction de leur capital non motivée par des pertes par voie de rachat de leurs titres suivi de leur annulation.
Il constate également que la loi de finances pour 2015 a rendu le régime d’imposition des plus-values également applicable à la taxation des sommes attribuées aux actionnaires ou aux associés au titre du rachat de leurs titres et a mis fin pour l’avenir au régime hybride de taxation qui existait auparavant, et qui se traduisait par l’application pour partie du régime des dividendes et pour partie du régime des plus-values.
En conséquence, il estime qu’en présence d’une opération de rachat par une EURL d’une partie de ses parts de son associé unique suivie de leur annulation dans le cadre d’une réduction de capital non motivée par des pertes, l’appréhension par cet associé des sommes qui lui sont versées à raison de ce rachat « ne caractérise pas un abus de droit au seul motif qu’il aurait ainsi choisi la voie la moins imposée pour bénéficier de la mise à disposition de sommes issues des réserves de la société ».
Il confirme ainsi un précédent avis identique qu’il avait déjà émis dans une autre affaire en 2021.
Certes, il estime néanmoins qu’il en irait différemment si l’administration établissait, au vu de l’ensemble des circonstances, qu’une telle opération constituait un montage artificiel, ayant pour seul but de minorer l’impôt. Mais en l’occurrence, l’associé unique a fait valoir, sans être contredit de manière argumentée par l’administration, que cette opération unique de réduction de capital avait été décidée afin de faciliter la transmission de l’entreprise, le niveau élevé de ses capitaux propres augmentant sa valeur artificiellement, ce qui constituait un frein à cette transmission.
Un argument que le Comité accueille favorablement, approuvant même le fait que « les liquidités détenues par l’EURL étaient excessives au regard de ses besoins », et considère en conséquence que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration n’était pas fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal.
La décision de l’Administration
Inflexible, l’administration a décidé de ne pas se ranger à cet avis, considérant pour sa part que « la réduction de la valeur de la société aurait été identique en cas de distribution de dividendes ». En conséquence, l’opération ne répondant selon elle à aucun des motifs poursuivis par une réduction de capital autre que celui d’appréhender les réserves de la société sous le régime fiscal plus favorable des plus-values, elle maintient le redressement.
A se demander de quel côté se trouve l’abus de droit… mais il est vrai que le CADF n’a qu’un rôle consultatif et que, ses avis n’ayant par conséquent pas force de chose jugée, l’Administration n’est pas obligée de les suivre.