A peine entré en vigueur, le nouveau régime fiscal des gérants majoritaires de SELARL subit un revirement inattendu : le Conseil d’État vient en effet d’annuler plusieurs précisions de l’administration concernant la distinction entre les rémunérations d’activité libérale et des fonctions de gérant.
Rappels
Depuis le 1er janvier 2024, les rémunérations perçues par les Gérants majoritaires de SELARL à l’IS sont imposables :
- soit dans la catégorie des Bénéfices Non Commerciaux (BNC), pour celles qui sont perçues au titre de leur activité libérale proprement dite ;
- soit dans la catégorie des rémunérations des Gérants et associés de SARL prévue à l’article 62 du CGI, pour celles perçues au titre de l’exercice de leurs fonctions de Gérant (l’avantage dans ce deuxième cas étant qu’elles sont beaucoup plus simples à déclarer et qu’elles bénéficient du même abattement de 10 % que les rémunérations des salariés).
NB : vous trouverez de plus amples précisions sur ce nouveau statut dans notre fiche pratique : SELARL : le nouveau régime fiscal des Gérants majoritaires
Les précisions de l’Administration fiscale
La distinction entre la rémunération des fonctions de Gérant et celle du professionnel libéral n’étant pas toujours simple, l’Administration a apporté les précisions suivantes dans une instruction datée du 27 décembre 2023 :
- d’une part, elle considère que les rémunérations perçues au titre de la fonction de gérant sont celles allouées à raison des tâches qui ne sont pas réalisées dans le cadre de l’activité libérale (par exemple : convocation d’assemblée, représentation de la société dans les rapports avec les associés et à l’égard des tiers, décision de déplacement du siège social de la société, etc.). Jusque-là, c’est assez simple sauf qu’elle conserve au tire des BNC toutes les tâches de nature administrative inhérentes à la pratique de l’activité libérale telles que la facturation du client ou du patient, l’encaissement, les prises de rendez-vous, les approvisionnements de fournitures, la gestion des équipes ou la rédaction de documents tels que des ordonnances de prescription.
- d’autre part, elle admet que, lorsqu’il est absolument impossible de distinguer les deux rémunérations, celle des fonctions de Gérant puisse être évaluée à hauteur de 5 % de la rémunération d’ensemble perçue par le Gérant.
Le Conseil d’Etat
Saisi par le Conseil national des barreaux à ce sujet, le Conseil d’Etat a purement et simplement annulé la disposition qui exclut des fonctions de Gérant les tâches de nature administrative inhérentes à la pratique de l’activité libérale telles que la facturation du client ou du patient, l’encaissement, les prises de rendez-vous, les approvisionnements de fournitures, la gestion des équipes.
Ceci serait plutôt une bonne chose si l’on considère que l’imposition sous le régime de l’article 62 est plus intéressante que celle sous le régime des BNC.
Mais dans le même temps, il a aussi annulé la tolérance qui permet d’évaluer la rémunération des fonctions de Gérant à hauteur de 5 % de la rémunération totale, ce qui risque de compliquer passablement les choses pour bon nombre de Gérants.
Ces deux dispositions de l’Administration sont en effet considérées comme illégales dans la mesure où elles ajoutent à la loi.
Conséquences de la décision du Conseil d’Etat
Désormais donc seules constituent des BNC, pour les Gérants majoritaires de SELARL les rémunérations strictement perçues au titre de l’activité libérale, incluant le cas échéant la rédaction de documents tels que des ordonnances de prescription, mais non les tâches administratives telles que la facturation du client ou du patient, l’encaissement, les prises de rendez-vous, les approvisionnements de fournitures, la gestion des équipes.
Cette décision du Conseil d’État jette évidemment un trouble certain.
En invalidant les précisions qui excluaient certaines tâches administratives des fonctions de gérant et en supprimant la tolérance du forfait de 5 %, le Conseil d’État impose désormais une approche plus conforme à la loi mais oblige les gérants majoritaires et leurs conseils à s’atteler à une ventilation rigoureuse du temps consacré aux actes techniques et aux fonctions de gestion, une tâche qui s’annonce potentiellement complexe et source de contentieux futurs.
Ce revirement jurisprudentiel, qui s’applique à compter du 8 avril 2025 (il ne change donc rien à la déclaration de vos revenus de 2024), constitue indéniablement un pavé dans la mare d’un régime fiscal à peine mis en place, nécessitant une nouvelle clarification urgente de la part de l’administration pour sécuriser les pratiques.