C’est une situation assez classique : plutôt que de distribuer des dividendes, le Gérant, en sa position d’associé majoritaire, préfère augmenter sa rémunération. Alors… abus de majorité ou pas ? La Cour de cassation a tranché…
L’affaire
La société est une SARL entre deux associés.
L’un, Gérant, possède 70 % des parts et se voit reprocher par l’autre, ex cogérant ne possédant que 30 % des parts, de systématiquement refuser la distribution de dividendes, tout en s’octroyant des augmentations conséquentes de sa rémunération.
En outre, il lui reproche également de décider ces augmentations lors d’assemblées générales classiques (à la majorité simple donc) alors que les statuts de la société prévoient que toutes les décisions collectives n’ayant pas pour objet de modifier les statuts doivent être prises d’un commun accord entre les associés (donc à l’unanimité).
Considérant qu’il s’agit là d’un abus de majorité, l’associé minoritaire demande en justice la condamnation du gérant à lui payer des dommages-intérêts.
En outre, au motif qu’elles ont été prises en violation des statuts, il demande au tribunal d’annuler les délibérations des assemblées générales ayant fixé la rémunération du Gérant et, consécutivement, la condamnation de ce dernier à rembourser à leur société les rémunérations objet du litige.
La Cour d’appel
Ayant constaté que l’absence de distribution de dividendes était une mesure de prudence dans un contexte économique difficile pour l’entreprise, et que l’augmentation de la rémunération du Gérant s’expliquait par le fait qu’il assumait seul le travail effectué auparavant par les deux cogérants, les juges de la cour d’appel donne tort à l’associé minoritaire en ce qui concerne l’abus de majorité.
Par contre, ils estiment que les décisions fixant la rémunération du gérant, adoptées à la majorité au lieu de l’unanimité, ont bien été prises en méconnaissance des statuts et qu’elles doivent par conséquent être annulées.
La Cour de cassation
Les juges de la cour de cassation casse et annule les deux décisions de la cour d’appel.
S’agissant de l’abus de majorité (refusé par la cour d’appel), ils considèrent quant à eux que, dès lors que le faible montant des bénéfices résultait nécessairement de la forte augmentation de la rémunération du Gérant (celle-ci ayant doublé en quatre ans), les décisions correspondantes avaient bien était prises contrairement à l’intérêt social et dans l’unique but de favoriser les intérêts de l’associé majoritaire. En conséquence, l’abus de majorité semblait bien caractérisé. A rejuger…
Par contre, l’annulation de la décision de la cour d’appel relative à la violation des statuts est un peu plus inattendue mais elle repose sur une disposition de l’article L. 235-1 du code de commerce, selon lequel seules peuvent être annulées les décisions prises en violation d’une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats.
En revanche, la loi ne sanctionne pas par la nullité le non-respect de stipulations contenues dans les statuts. En conséquence, la cour d’appel a violé l’article précité et les rémunérations n’avaient donc pas lieu d’être remboursées.
Cela étant, attention, si la violation de dispositions contenues dans les statuts ne peut être sanctionnée par la nullité, elle peut néanmoins avoir des conséquences graves pour le Gérant : celui-ci peut par exemple faire l’objet une action en responsabilité civile de la part des associés, ou d’une action en comblement de passif après une liquidation judiciaire, voire d’une plainte pour abus de biens sociaux.
Par ailleurs, il est à noter que, dès lors que l’abus de majorité a été reconnu par la cour de cassation, il est probable que si l’associé minoritaire avait également demandé l’annulation des décisions relatives à l’augmentation de la rémunération pour abus de majorité (plutôt que pour violation des statuts), il aurait probablement eu plus de chances d’obtenir gain de cause.